Exposition au musée de la Biosphère : L'Échangeur

Projet pour l’exposition permanente MTL+ à la Biosphère, musée de l’environnement

Ce projet est issu d’une collaboration passionnante avec Microclimat Architecture, qui a entre autres réalisé l’ensemble des illustrations, et Guillaume Éthier, professeur en théories de la ville (UQAM) 2019

Anna, citoyenne de l’hypermobilité

C’est en prenant à droite sur l’avenue Valérie Plante qu’Anna débouche sur le métro. Elle y entre sans transition, ne prêtant plus attention aux variations d’ambiance de la ville suréquipée; c’est qu’elle est ailleurs, doublement plongée dans une discussion en ligne et dans le montage d’une série documentaire sur son appareil. Plus rien ne perce l’épaisse bulle numérique qui l’entoure, de jour comme de nuit. Et comme rien n'ébranle l’attention qu’elle porte à son appareil, la ville n’est à ses yeux que l’extension tentaculaire d’un réseau qui la suit pas à pas. 

Elle sort à la station George-Vanier pour la première fois depuis sa réouverture. Deux chemins s’offrent maintenant à elle : le premier la reconnecte directement à la ville. Le second lui propose d’occuper les quelques instants arrachés gratuitement au flux de sa vie par le retard annoncé — à l’instant même — de son prochain rendez-vous. L’angoisse de la déconnexion ne dure que quelques secondes, mais c’est souvent assez pour vouloir l’éviter, elle le sait. 

Pourtant, de l’autre côté, cheminant dans l’Échangeur qui brouille les signaux, l’émotion du spectacle de la ville, mise à distance par une paroi enveloppante, la saisit. Dans une marche ascendante à travers un jardin calme, puis vers un belvédère ascétique, elle remonte le temps et s’arrête. Elle respire, se rappelle qu’elle fait désormais ce qu’elle a toujours souhaité faire dans la vie. La pause, même momentanée, calme son esprit inquiet, comme une caresse quand rien ne va. Elle reprend le chemin de la ville en constatant, amusée, qu’elle ne sait plus compter le temps qui s’égraine quand son appareil ne lui indique pas : elle est restée à ne rien faire pendant 12 minutes, assez pour remarquer que Montréal avait encore changée, et qu’elle aimait toujours se perdre dans ses pensées comme lorsqu’elle était enfant. 

Le luxe du futur

Le paysage du futur est une étrangeté. Un spectacle éclectique où la technique et les technologies ont conquis l’espace urbain et les corps qui y déambulent. 

Le cloud n’avait rien de l’utopie immatérielle proposée… La métropole, désormais, est suréquipée : un amalgame complexe d’infrastructures qui connectent tout. Un système complexe qui alimente, transporte, diffuse et comptabilise nos quotidiens. Le cloud, c’est maintenant la ville elle-même.

La vie, telle qu’on l’a connue, a quant à elle laissé place à l’hypermobilité : l’exigence du mouvement, de la vitesse, de l’accessibilité et de la traçabilité des informations, des biens et des personnes. Les pouvoirs se définissent et redéfinissent aujourd’hui (2067) selon cette capacité (ou non) à être mobile, à bouger.

Dans ce nouveau monde effréné, prisonnier des fils et connexions, le luxe est devenu la pause. L’enjeu politique est donc d’insérer des moments de déconnexion dans le quotidien : arrêter le mouvement, éteindre les lumières, faire taire le bourdonnement de la ville. Le sublime de l’immobilité, pour reprendre contact les uns avec les autres et avec le réel.  

L’Échangeur

L’intention derrière l’Échangeur était de créer des lieux où la pause est permise et encouragée. L’Échangeur propose aux citadins la déambulation, l’expérience sensorielle ainsi que la mise en scène subtile et fragmentée des paysages urbains.   

Stratégiquement, l’Échangeur intervient aux stations de métro montréalaises et s’inspire des intentions artistiques d’autrefois, soit les différentes œuvres d’art qui tentent d’humaniser ces non-lieux. L’Échangeur invente une nouvelle interface entre l’espace de mobilité, enfoui dans le sol, et l’espace urbain de la ville suréquipée, en surface. Il s’insère dans ce réseau pour imaginer des sanctuaires dans lesquels s’aventurer, et permet de rompre le continuum de la connectivité. L’Échangeur propose donc de réfléchir aux infrastructures de l’hypermobilité à l’aide de leur contraire, la lenteur, voire l’immobilité. Dès lors, ces espaces techniques ne sont plus seulement un assemblage de connexions dédié aux mouvements et à « l’ailleurs », à l’image des technologies qu’ils supportent. Ils deviennent aussi des espaces publics aptes à reconnecter les usagers avec le moment présent et ainsi assurer que « ni le temps, ni la beauté [ne] sont absents de leur histoire ».

En tant que tactique de design urbain, l’Échangeur est modulable. Il tente de résoudre ou de bonifier les logiques de circulations présentes dans les contextes où il s’insère (p. ex., des citoyens traversant illégalement une voie ferrée pour se rendre à une station). L’Échangeur, en somme, ne s’impose pas aux citadins de l’hypermobilité; il transforme leur quotidien avec la puissance d’une invitation à la pause.

Les Moments de déconnexions

S’inspirant de la technique et des technologies qui parasitent maintenant la ville, l’Échangeur s’accroche à une station de métro pour y perturber le parcours quotidien des citoyens. Pour y arriver, l’Échangeur Georges-Vanier propose trois moments de déconnexion :

  1. Le choix : l’Échangeur est une incitation à la pause. Il ne s’impose pas. Le premier moment de déconnexion se présente aux citadins de l’hypermobilité sous la forme d’un choix entre l’entrée/sortie régulière du métro ou la dérive dans un parcours insolite et alternatif . Ce moment génère un questionnement et l’envie d’abandonner la courroie de transmission urbaine : « Où mène cet escalier ? », « Où va ce tunnel ? », « D’où provient cette chaleur, cette lumière ? », etc. 

  2. Le belvédère : L'ascension mène alors à un second espace, le belvédère. Perché au cœur d’un jardin luxuriant et silencieux, l’usager apprivoise le paysage urbain selon de nouvelles perspectives. De plus, grâce aux différentes plantes qui envahissent la vision,  l’odeur et l’humidité des végétaux, une distance supplémentaire se crée entre l’individu et les multiples architectures et éléments techniques de l’espace urbain. On se sent à des kilomètres de cette métropole qui pourtant se déploie à nos pieds. 

  3. Le sanctuaire  : Paradoxalement, si le monde de la ville suréquipée dépend largement du ciel d’où opèrent satellites, drones et autres technologies aériennes, ses citoyens ne le regardent plus. Le dernier moment de l’ascension vers la déconnexion exprime cette nécessité de communier avec le ciel, d’être ici et maintenant. Au sommet de l’Échangeur Georges-Vanier se trouve alors un sanctuaire refermé sur lui-même, où seul le ciel et son immensité s’expriment. La fin de parcours de l’Échangeur marque donc un lieu intime, flexible, parfois sombre, parfois lumineux, parfois animé, mais toujours déconnecté et en rupture avec le monde extérieur. 

2017
2067
Le choix
Le belvédère
Le sanctuaire